Triangle
Christopher Smith (2009)
Melissa Georges, Liam Hemsworth, Joshua McIvor, Rachael Caprani
Musique: Christian Henson
Horreur Drame Psychologique
Jess, une mère célibataire d'un enfant autiste est invitée par Tommy à prendre part à une croisière. Arrivé en plein océan Atlantique, ils sont pris dans une mystérieuse tempête...Ce n'est pourtant que le début de leurs (més)aventures.
Pour éviter de gâcher l'intrigue, ceux qui n'ont pas vu le film devraient s'arrêter à 1:00 en regardant la BA...
Après un Black Death sombre et crade, je me suis plongé dans son prédécesseur : Triangle. Christopher Smith avait alors radicalement changé de style, passant d’un film contemporain et alambiqué à une aventure médiévale. Mais l’on retrouve assez rapidement des éléments communs : une réalisation très soignée, des ambiances qui prennent à la gorge (notamment grâce à une excellente musique), des personnages et acteurs charismatiques et surtout un scénario en béton.
Autant dire de suite, c’est le scénario de Triangle est à l’origine de la baffe qu’on se prend. Question torture méningique, Christopher Smith a peu à envier à un autre Christopher (suivez mon regard) en nous emmenant dans un survival dimensionnel très prenant. Car Triangle ressemblerait à un sac de nœud, qui se délie au fur et à mesure, élément par élément. Les mystères sont présent dès le début, s’épaississent jusqu’au tiers et commencent à se dissiper à ce moment. Vient alors l’explication, qui illustre le titre de Triangle. On découvre un scénario à tiroirs, une sorte de spirale abyssale.
Et malgré un schéma qui peut paraître redondant et finalement assez réducteur en termes de libertés scénaristiques, le film ne souffre d’aucune perte d’intérêt, ou de rythme. On est scotché du début à la fin. Fin qui en laissera plus d’un sur le carreau. A l’instar de son successeur, celle-ci n’a rien d’un happy end…
Niveau acteur, c’est évidemment Melissa Georges qui est mise en avant en tant que personnage central. Elle incarne une mère perturbée et déterminée avec conviction et brio.
Le film s’inspire évidemment de Shining par bien des aspects à commencer par le fait que la majeure partie des scènes se déroulent de plein jour. De même, il s’agit d’un petit nombre de personnages prisonniers d’un environnement à la fois immense et oppressant, labyrinthique avec ces couloirs interminables et étroits. De fait, la sensation d’être perdu et observé est renforcée, à l’instar du film de Kubrick. Les miroirs occupent aussi une partie non négligeable de la symbolique. Enfin, les deux films possèdent une pièce-clé mystérieuse et maculée de sang et le passage où Jess brandit la hache et semble boiter légèrement peut faire référence à un certain Jack…
La réalisation est également un outil qui sert à merveille Triangle. Une photographie léchée, une manière de coller aux personnages qui rend mal à l’aise et des mouvements de caméra très fluides sont au programme. Le travelling après l’accident est d’ailleurs un exemple de maîtrise, une description muette et pleine de tension quant au sort des personnages impliqués.
Les thématiques présentées sont l’existence de libre-arbitre ou l’amour inconditionnel d’une mère pour son fils. La remise en question est aussi à l’ordre du jour, lorsque Jess se confronte à elle-même, à ce qui est nécessaire ou pas pour tenter de s’en sortir.
Abordons à présent le film d’une manière plus analytique. C’est ici que ceux qui n’ont pas vu Triangle sauteront directement à la conclusion, car cette section contient beaucoup de spoilers.
Triangle est monté comme une spirale infernale, contenant deux boucles, une longue et une courte. Si la seconde est relativement facile à identifier dès le début, la première ne se dévoile qu’à la fin.
La boucle la plus courte, sur le bateau donc, constitue un véritable survival où Jess est confrontée à elle-même et aux occupants du bateau. Le titre « Triangle » prend ici tout son sens, car l’intrigue se compose de trois versions de Jess, dont l'existence est suggérée par de multiples indices sont donnés. Ceux-ci restent discrets (souvent sous-forme de déjà-vu) ou beaucoup moins (le miroir à trois reflets) Cette partie laisse penser que les agissements de Jess sont erratiques et se répètent comme si une entité supérieure la guidait. Car, en voulant s’en sortir, elle commet inlassablement les mêmes erreurs que sa version précédente. En effet, les nombreux cadavres de Sally sur le bateau ou ceux de mouettes sur la plage indiquent que malgré la sensation de découverte, Jess n'est pas à sa première spirale.
Ce qui laisse à penser que le libre-arbitre serait une illusion? Peut-être… Car si rien ne semble logique a priori, c’est parce que le scénario est basé sur l’irrationnel, sur des décisions impulsives liée à la survie.
Cette boucle pourra laisser paraître une pointe d’actes redondants pour certains, mais l’intérêt ici est de montrer les scènes déjà vues d’un point de vue qui est différent et d’expliquer les meurtres commis et attribués à Jess peu après leur arrivée sur le paquebot (et met en avant l’aspect accidentel de la plupart d’entre eux). Par conséquent, la différence de point de vue supprime cet aspect répétitif (peut-être pas entièrement toutefois).
Mais c’est avec la seconde boucle que le film prend de l’ampleur. Celle-ci montre qu’en réalité, le début et la fin de Triangle coïncident. Elle explique qui sonne à la porte, pourquoi le gamin est apeuré, pourquoi Jess est si perturbée à son arrivée au port et pourquoi elle s'excuse auprès de Tommy. C’est aussi le nœud du drame. Jess perd son enfant, un peu par sa faute, et décide volontairement de retourner dans la boucle (le "I wanna go" dit à Tommy avant de monter), pour s’excuser de l’avoir puni/frappé, mais surtout pour le revoir. Cela transparaît de son amour inconditionnel pour son fils, de ses multiples allusions lorsqu’elle se trouve sur le bateau. Ainsi, ses actes prennent une autre dimension lorsqu’on connaît leurs motivations.
Reste à expliquer le fait qu’elle agit de manière complètement impulsive, comme si elle vivait la situation pour la première fois. Pourquoi, en renouvelant l’expérience, elle est incapable de s’en sortir autrement. Le premier élément à prendre en compte ici est que Jess est choquée et dans une sorte déni de la mort de son fils (elle précise qu’il est à l’école, et semble presque y croire). Le choc émotionnel aurait bien pu mener à un refoulement des événements antérieurs. De ce fait, Jess agirait « comme la première fois » car elle n’est pas consciente d’avoir vécu ces situations, mais possède juste un ressenti. Cette hypothèse est étayée par la scène du cauchemar sur le bateau de plaisance : Jess pense alors avoir fait un cauchemar, mais l’on comprend à la fin (grâce à deux plans habilement repris) que ce sont des souvenirs refoulés des événements antérieurs qui remontent. De même que les sensations de déjà-vu qui ne sont que le fait de remontées inconscientes. Ainsi, le choc émotionnel de la mort de son fils explique les réactions de Jess et son état bizarre au début du film.
FIN du spoiler
En conclusion, Christopher Smith nous propose avec Triangle, un film haletant reposant sur une base solide composée d’une ambiance glauque et prenante agrémentée d'une pointe d’horreur, d'une actrice efficace et toujours avec cette profondeur scénaristique. Trois sommets auxquels vient s’ajouter une réalisation maîtrisée et stylée. Bref, un métrage piquant, prenant, rondement mené, et dont la fin ne laissera personne indifférent. A voir ! (Sur cette conclusion carrée et très géométrique, je sors, à nouveau XD)